Vues de l'écurie, jusqu'à l'autre côté de l'océan

Martin l'Âne

Conversation auprès de l’âne.

Martin, mon âne, mon compagnon, m’aide dans mes travaux de jardinage,  tirant la remorque chargée d’un peu de foin. S’arrêtant soudain, il paraît songeur. Il faut dire que c’est un âne curieux, qui raisonne, qui parle : « Bipède –il m’appelle Bipède- depuis quelques jours, je vois moins de traînées blanches dans le ciel. D’où cela peut-il venir ? »

Je lui réponds : «Martin, les humains voyagent moins en avion. Il nous faut être prudent. Un virus microscopique très contagieux nous oblige à ménager des distances entre nous afin d’éviter des contaminations qui parfois provoquent la mort. »

Martin, interrogatif : « Un virus microscopique peut tuer les bipèdes ? »

-Oui, s’il est entré dans notre corps, nos poumons.

« Et vous ne pouvez pas le tuer ? 

« Une fois entré dans nos poumons c’est très, très difficile. Certains suggèrent l’emploi d’eau de Javel. Aucun humain sensé n’a tenté l’expérience .

Martin, l’air inquiet : « Vous qui tenez au bout de votre fusil les animaux qui me terrorisent, le loup ou l’ours !! Un microbe si petit vous fait peur ? Un virus peut vous occire ? Décidément, le plus fort n’est pas toujours celui qu’on croit. »

Martin pousse un  braiment qui déchire le silence, tire sur le harnais, son œil un instant se fixe sur moi. Lui qui  me jugeait invincible doit être très déçu.

« Martin, il faut que tu saches que l’amour du confort moderne et la peur sont des sentiments humains qui déterminent notre rapport à la nature.

La faune et la flore invisibles et visibles qui habitent la terre ne se sont pas créées elles-mêmes.

L’humain ne s’est pas créé lui-même

Nous sommes les fruits d’une très longue évolution. L’humanité n’est qu’une infime composante du monde vivant… Elle devrait se garder de tout chambouler…

Martin, allons mettre ce foin à l’abri. »

M.V.

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Fenêtre d'Overton

Dire l’indicible, pour augmenter le spectre du dicible dans l'espace public.

La « Fenêtre d’Overton » (du nom de son créateur), est un concept utilisé pour ouvrir notre fenêtre d'acceptabilité.

En pratique, on envoie des "francs-tireurs" (éditorialistes, journalistes, célébrités), qui vont répandre dans les médias des opinions exagérées, voire outrancières. Ainsi les opinions de certains responsables politiques, jugées naguère inacceptables, seront désormais considérées comme raisonnables.

Exemple parmi d’autres. Le 22 décembre 2020, le journaliste Renaud Dély, ouvre le « 28 minute » d’Arte consacré à la crise sanitaire, en parlant «de jeunes sommés de sacrifier une partie de leurs activités, pour sauver la vie des plus anciens»

Je me demande encore aujourd’hui, que penser de ce genre de discours. Faut-il envisager que les « vieux » soient coupables, simplement d’être ?

Quelle sera l’étape suivante ?

Faudra-t-il tuer les vieux, pour résoudre nos problèmes ?

Et quand on se demande, dégoulinant de « bons sentiments », quel monde allons-nous laisser à nos enfants, ne devrait-on pas s’interroger sur les enfants que nous laissons au monde. Ici dans nos civilisations démocratiques privilégiées forcément puisque démocratiques. Une génération d’ayant droit sans devoir, vaux-t-elle mieux qu’une génération de vieux qui se sont enrichis, en détruisant les ressources naturelles, mais dont les devoirs étaient de se battre pour que les jeunes aujourd’hui aient des droits.

Refermons vite ces sales fenêtres d’Overton, qui ne méritent pas d’être ouvertes !

Jean-Paul Rommot

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Rions un peu avec La Poste

Sans commentaire

L’époque est formidable qui nous permet de voir partout fleurir, les injonctions paradoxales.

A la poste, il est interdit d’entrer masquer, mais le masque est obligatoire !

Trop bien, de voir cohabiter les deux affiches et une autre plus loin, qui enjoint à quitter le masque après avoir sonné, pour montrer son visage aux caméras de surveillance, avant de le remettre…

Vigipirate et la Covid réunis pour le plaisir de tous !

Serge Menini

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Lettre d’Amérique de janvier 2021

Cher Testu

I voted, you voted, they voted … et après quatre ans qui m’en ont fait prendre dix, l’Amérique traumatisée s’est enfin débarrassée de Donald Trump. Le tumulte croissant de cette absurde présidence, arrivé à son paroxysme le 6 janvier avec l’attaque du Capitole, s’est apaisé dès le 20 à midi. Dans le grand silence qui semble tout à coup s’installer, on respire mieux, tout étonné de s’entendre penser, sur fond de crainte que ce répit ne soit de courte durée. D’autant plus que le coup est passé très près du métaphorique chapeau, car si la marge était de sept millions de votes en faveur de Biden, il ne s’en est fallu que de 66 000 voix pour que Trump ne soit réélu selon le système de sélection des grands électeurs...

2016 à 2020, quatre années de guerre

Mon Testu, sache que la joie des célébrations du 20 janvier a évoqué pour moi celle des fêtes de la Libération. Durant quatre longues années, soit mille quatre cent soixante-et-un jours, car nous les avons vraiment comptés, nous avons vu s’écrouler un à un les remparts de la raison, de l’éthique, de la décence et de la solidarité… au tout dernier moment, c’est la démocratie elle-même qui a failli s’effondrer. Nous avons été les témoins impuissants de l’éviscération des institutions fédérales, à travers le limogeage des cadres et leur remplacement par des sbires de Trump – la vacuité grotesque des moins dangereux nous distrayant de l’insolence crapuleuse des autres-- , les coupures budgétaires, sans rime ni raison, la censure des communications avec le public. Aucun corps de l’Etat n’a été épargné : de la NASA à la CIA, du Pentagone au Département d’Etat, en passant par l’agence de protection de l’environnement dont la mission était de se saborder, le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies – même et surtout en pleine crise COVID,  le Département de la Justice, FBI compris, le National Weather Service (notre direction de la météo, où des têtes sont tombées pour avoir contredit Trump sur le trajet projeté de l’ouragan Dorian), etc.. Mention spéciale pour le Département de l’éducation, qui a, entre autres, sabré les budgets scolaires et encouragé le port d’armes par les enseignants.

Assez c'est assez ! Washington D.C. 2018.

 Parmi les décrets signés par Trump, l’ouverture des réserves naturelles aux intérêts privés, notamment aux entreprises minières et aux compagnies pétrolières. Le tout sur fond de pillage des coffres de l’Etat, des vols plus mesquins, comme la surfacturation des frais de logement et de restauration des agents des services secrets lorsqu’ils devaient accompagner Trump dans ses clubs de golf, aux plus scandaleux, comme le détournement des fonds de secours COVID destinés aux petites entreprises vers de grandes sociétés.

Rappelle-toi aussi de ces cinq mille cinq cent enfants d’immigrants, nouveaux-nés compris, arrachés à leurs parents, sans vrai suivi documentaire : on ignore aujourd’hui à qui « appartiennent » plus de six cent d’entre eux, incarcérés ou placés en familles d’accueil. 

Aux victimes de cette guerre auto-infligée se sont ajoutés les 300 000 morts de l’année COVID, car combien de décès auraient pu être évités si l’un des premiers actes de l’administration Trump n’avait pas été de démanteler la direction des pandémies, simplement parce qu’Obama l’avait créée, ou si elle avait joué son rôle de protection de la santé publique, au lieu de museler les médecins, d’entraver les mesures de contrôle et les soins, et de créer de faux débats comme celui sur le port du masque ? Autant d’indifférence à la souffrance humaine n’étonne pas de la part de Trump, dont la pathologie de perversion narcissique n’est  plus un secret, mais il est effarant de la constater parmi tant de ses complices. Tu te souviens que Kushner, son beau-fils,  avait déclaré début 2020 que seuls les Etats « bleus », c’est-à-dire démocrates, étant affectés (vrai à l’époque), il y avait tout à gagner politiquement à les laisser se dépatouiller.

Voyage de Trump à Londres en 2018. © Luke MacGregor, Bloomberg.

La liste est aussi longue des dégâts diplomatiques de l’ère Trump… Je me contenterai de citer ma réaction sur La Montagne au lendemain de l’élection de 2016 : « L'Amérique va changer, et le monde aussi. Ce qui vient d'arriver est une catastrophe internationale ». Après des efforts héroiques (bel effort de Macron), la communauté internationale a rapidement fait une croix sur les Etats-Unis.

De manif en manif, on a fini par la tirer, la chasse...

Le grand nettoyage

Aujourd’hui, l’espoir renaît. On se disait qu’il allait falloir des années pour récupérer le terrain perdu sur le plan social, économique, climatique ou diplomatique. Mais l’administration Biden est arrivée avec des équipes déjà constituées et des mesures prêtes à être signées dès le premier jour. Le nouveau président a été investi le 20 janvier à 14 h 00. Dans les heures qui ont suivi, il a signé une vingtaine de décrets et déclarations annulant d’importantes décisions de l’administration Trump, et a continué ce vaste travail de nettoyage et de reconstruction depuis.

Couverture de The Economist du 23 janvier 2021

Certaines de ces mesures devront encore passer par le moulinet législatif et rencontreront donc des obstacles côté Républicains, mais la plupart permettent de remettre immédiatement le pays sur les rails : retour à l’accord de Paris, fin de l’interdiction d’entrée aux ressortissants de pays à majorité musulmane, mise en place (enfin) d’un plan fédéral de lutte contre le COVID, avec soutien financier et logistique aux Etats, révocation des ordres de déportation et de séparation des familles d’immigrants, retour aux frontières d’origine des grands parcs nationaux et suspension de l’allocation de permis d’exploration pétrolière dans les réserves naturelles de l’Alaska, interdiction de discriminer sur la base de l’identité ou orientation sexuelle, arrêt de la construction du mur entre les Etats-Unis et le Mexique, augmentation du salaire de base, renforcement du programme DACA de naturalisation des immigrants arrivés illégalement lorsqu’ils étaient mineurs, etc. L’équipe COVID a démarré sur les chapeaux de roue : objectif de 1,5 million de vaccination par jour, commande de 200 millions de doses supplémentaires, port du masque obligatoire dans les établissements fédéraux (la poste, par exemple) et dans les transports, création d’un programme solide de comptage des cas, développement d’une stratégie de fabrication et de distribution des EPI, tests et vaccins, expansion des programmes d’aide alimentaire, suspension des évictions et des paiements dus sur les prêts universitaires, financement du déploiement des gardes nationaux dans les Etats le requérant pour soutenir la politique COVID (aide logistique et médicale : de nombreux sites de tests COVID sont opérés par les gardes nationaux).

Soirée télé...

Si nous sommes assez braves

Comme beaucoup d’Américains, j’ai passé le 20 janvier devant la télévision. Les cérémonies d’investiture présidentielle américaine réservent toujours une place à l’art et à la culture. Là où, en 2016, Trump avait peiné à réunir des têtes de liste, le monde des spectacles a été ravi de se mettre à la disposition des équipes Biden. L’hymne national a ainsi été chanté par Lady Gaga, suivie par Jennifer Lopez avec d’autres morceaux emblématiques, en partie en espagnol. Tom Hanks a animé le spectacle du soir (en grande partie sur Zoom), auquel ont participé John Legend, les Foo Fighters, Bruce Springsteen, Jon Bon Jovi, Demi Lovato, Justin Timberlake, etc.

Il est essentiel de ne pas balayer le passé, de ne pas oublier la folie qui s’est emparée du pays pendant quatre ans. La bête du fanatisme et de l’ignorance rode toujours. Mais, aujourd’hui, au risque de te faire sourire, cynique Testu, j’aimerais terminer par les dernières lignes du poème d’Amanda Gordman, qu’elle a lu le matin du 20 janvier sur les marches du Capitole :

La poétesse Amanda Gordman lors de la cérémonie d’investiture de Joe Biden. ©Wall Street Journal

« When day comes we step out of the shade,

aflame and unafraid,

the new dawn blooms as we free it.

For there is always light,

if only we’re brave enough to see it.”

If only we’re brave enough to be it. »

Traduction maison :

« Quand vient le jour, nous sortons de l’ombre, pleins d’ardeur et oubliant la crainte,

L’aube nouvelle fleurit quand nous la libérons.

Parce que la lumière jamais ne disparaît,

Si nous sommes assez braves pour la voir,

SI nous sommes assez braves pour être nous-mêmes cette lumière. »

Gros bisous,

Christine

ANNICK FABBI 08.03.2021 10:35

Brillant Testu, un grand cru !
Tu me manquais et tu n'as pas pris une ride sous le masque ...
Bravo Serge et Christine !!
Annick

Commentaires

20.07 | 23:56

Du bon boulot de journaliste. J'applaudis des 2 mains ! Et j'en redemande.

26.03 | 18:58

Tellement vrai, bien vu. Merci

10.03 | 15:54

Heureusement il y a aussi une majorité de bonnes volontés même si notr...

09.03 | 12:23

Je découvre votre site, bravo j'arrive de la banlieue Parisienne, installé de...