Testu, toujours en recherche de qualité éditoriale, voulait illustrer la difficulté d’être maire aujourd’hui. Il fallait un exemple, se concluant, si possible, par un pétage de plombs digne des plus affreux. Un sordide fait divers, pourquoi pas un suicide.
Depuis deux ans, tous les espoirs de la rédaction allait à la commune nouvelle de Neussargues-en-Pinatelle. Les pérégrinations du Conseil municipal, suivies dans le quotidien La Montagne et sur les réseaux pseudos sociaux, plaçant ce postulant prometeur sur le podium.
Avec le recul, on se dit que le candidat Porteneuve, aurait mieux fait d’escalader le mirador avant de se présenter. De là-haut, il aurait peut-être aperçu les emmerdements, volant vers lui en escadrille...
Il faut remonter le temps et poser le décor.
Au 1 décembre 2016, se crée sous l’impulsion de Bernard facilitateur Delcros, un regroupement des communes de Celle, l’industrieuse agricole obstinée. Chalinargues, la touristique (son lac du Pêcher, son centre équestre). Chavagnac, la montagnarde perchée. Neussargues-Moissac, 2 citadines déjà groupées. Saint-Anasthasie, la rustique revendiquée. Un ensemble de 1970 habitants, 40 hameaux, 92 km² et 3H15 pour en faire le tour, « sans serrer des mains ».
Administrativement, Neussargues-en-Pinatelle naît un jour de brouillard, Ghyslaine Pradel, en est maire. Au delà de la réalité bureaucratique, ici comme ailleurs en France et partout dans le monde, un village reste : *«un labyrinthe de passions, imbriquées dans de la mémoire» (* Denis Tillinac dans «Les masques de l’éphémère»).
Autant le dire tout de suite, il sera difficile d’agréger autant d’individualités, de mentalités, d’indifférences et de différences.
Arrivent les municipales 2020.
Michel Porteneuve, fringant retraité d’EDF, revenu depuis un an dans son pays natal, s’occupe bénévolement aux activités nautiques du lac de Garabit. Il décide alors de consacrer son énergie (paraît qu’à EDF on est rarement fatigué), en s’engageant au Conseil municipal et cherche à rencontrer la maire sortante, pour lui proposer de figurer sur sa liste. Après 5 tentatives infructueuses («madame la maire vous rappellera»), il se voit publiquement éconduit sur un marché : « On a pas besoin de vous », lui signifie l’élue. Adresse agrémentée d’un petit geste de la main signifiant, dégage.
Contrarié, il réplique « ce n’est pas grave, j’irai sur la liste concurrente ».
Comme elle n’existe pas, l’homme décide de la créer, s’entourant de 22 colistiers. Là sera peut-être son erreur initiale (faussement corroborée par la suite), d’agréger des personnes qui ne se connaissent pas plus que ça, chacune prêchant pour sa chapelle.
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Pourtant, Michel Porteneuve n’est pas un perdreau de l’année.
Sportif : Il s'est essayé 7 ans à la boxe Thaï. Parachutiste, (il pratique assiduement de la chute libre). Motard, en touriste, avec pas mal de kilomètres au compteur, que Testu aura la pudeur de les taire. En compétition, sur divers rallyes (Dakar, Tunisie, Baja 500 au Mexique,Mavad en Hongrie, Pharaon en Égypte), mais aussi enduro (Trèfle lozérien, La montée auvergnate).
Côté professionnel, il est un produit de la méritocratie Républicaine
Entré à EDF sur concours niveau bac, il obtient un BTS en alternance au lycée lyonnais « La Martinière ». Au sein de l’entreprise nationale, il continu sa formation et devient ingénieur en charge du management, à la centrale atomique du Bugey. Il sera ensuite responsable des travaux de construction d’ICEDA, la seule usine en Europe, sensée permettre le reconditionnement des déchets actifs (en gros, tout ce qui sort des réacteurs obsolètes).
Le chantier sera arrêté suite à la plainte d’un riverain, qui ne veut pas de ce site à proximité de son entreprise.
Arrive l’accident de Fukushima au Japon. EDF met au point un protocole de sécurité, applicable à toutes ses centrales nucléaires. Michel Porteneuve sera l’un des cinq ingénieurs chargés de le réaliser. Il voyage dans toute la France, arrivant sur les chantiers trois mois avant les intervenants publics et privés (français, européens,américains). Avec le personnel et la direction, ils mettent en place, les protocoles concernant le processus de modification, afin que pas une minute ne soit perdue lors des travaux. La particularité de cette tâche, est qu’il ne connaît personne au départ et se retrouve à encadrer des équipes internationales de 3 à 400 personnes, par chantier.
Puis très tôt (c’est bien connu qu’à EDF ils sont fainéants), vient l’heure de la retraite. Avec retour à la case départ, dans son opays natal et le début d'ennuis auquels il n'était pas préparé.
L’homme aujourd’hui, est affligé d’une légère claudication, résultant d’un accident dans le Dakar, où un journaliste ensablé en haut d’une dune, a ouvert sa portière pour le filmer, alors qu’il arrivait poignée dans le coin. Son écart pour éviter l’obstacle, l’envoie vers un énorme trou causant une spectaculaire chute, après culbute et envolée. Accident que le cameraman continua d’immortaliser en direct, alors que Michel Porteneuve agonisait bêtement sous sa bécane.
Il en garde depuis une certaine défiance envers les journalistes, même s’il admet que ce qui fait vendre, ce ne sont pas les trains qui arrivent à l’heure.
Ça tombe bien, je ne suis pas journaliste.
On ne dira jamais assez combien il faut se garder des boiteux, gens méchants, chacun le sait.
Mais cela apparemment, Ghyslaine Pradel l’ignorait, qui ne s’est pas méfiée.
Elle sera battue et Michel Porteneuve élu maire.
En pleine pandémie de covid, il ne prendra ses fonctions que 4 mois après. A son arrivée, il découvre les joies de la démocratie, et qu’un maire n’est pas l’ingénieur en chef qui décide de tout rapidement. Il lui faudra compter avec le poids du passé, une commune nouvelle jamais structurée, où chacun continue de travailler dans son coin. Des ordinateurs vides de sens, des lenteurs administratives, des susceptibilités, des jalousies, de la rancœur, des hésitations, des mesquineries, des sabotages parfois.
Mais bon quand on a regardé en face la mort plusieurs fois (qui ne dira jamais la beauté verdâtre d’un réacteur nucléaire à l’arrêt, plongé dans sa piscine sous dix mètres d’eau froide), ce ne sont pas quelques contingences humaines qui vont arrêter le pèlerin.
Il se met au travail, à sa manière. Dirigiste sûrement, diplomate parfois, avec son franc parler et ses outrances. Il ne lui sera rien pardonné, rien épargné.
Très vite une fronde s’organise autour du trône municipal
Venue de l’opposition (c’est normal), mais aussi de la majorité, où quelques ambitions se font jour et se disent qu’après tout, la bête blessée, sera facile à achever. Des calculs s’organisent, comme au jeu des échecs ou du billard à dix bandes.
Des accusations se font jour. Des rumeurs circulent sur internet. Il boit. Il est violent. Il aurait même menacé une conseillère de la violer (lu sur un compte Facebook). Une plainte aurait été déposée.
C’est à ce moment là qu’à Testu on s’est dit que tout n’était pas clair au royaume de la Pinatelle et que les choses étaient à minima « exagérées », voire carrément fausses. De nos jours, une telle accusation entraînant illico la mise en garde à vue de celui qui n’est pas présumé innocent mais coupable…
Les réjouissances ont continué, on lui crève les pneus de sa bagnole. On la raye et celle de sa compagne aussi, pas de jaloux. On tord les essuies glaces. On menace anonymement de lui "péter les genoux". Un contrôle fiscal est diligenté. Les déclarations et les comptes du couple sont examinés. Sans succès pour madame, mais lui, est cloué au pilori. L’inspecteur découvre une fraude .
360 euros, ont été détournés.
L’infâme Porteneuve, a offert (en son nom et en celui du club de foot), deux parasols aux p’tits vieux de l’EHPAD.
Il a payé les 360 euros sur ses deniers et le voyou les a déclarés comme don à une association. Mais les limiers du fisc, eurent tôt fait de réintégrer (sans pénalité), les 360 euros dans les revenus à déclarer. L’EHPAD ne relève pas du régime associatif, agréé pour recevoir des donations déductibles.
C'est tout fiscalement ?
C’est tout !
Ah oui, des démissions aussi. Quatre en trois ans. Nathalie Petelet, première adjointe, fatiguée d’entendre ne vouloir défendre ici, que l’extension de la carrière de pierres qu’elle exploite. Rémy Prod’homme, ensuite, suivi de Cynthia Sabatier et enfin de Thierry Dalle, qui remplaça Nathalie Petelet et claque aujourd’hui la porte, en exprimant dans La Montagne du 7 10 23, ses regrets éternels.
"Un labyrinthe de passions, imbriquées dans de la mémoire".
A Testu on frétille, on se dit qu’on viendra pour l’hallali. On se trémousse, on jubile. Il faudra bien qu’un jour, malgré les frais et le carburant fossile, si peu écologique, on se transporte à Neussargues, assister à l’un des ces fameux Conseils municipaux,où l’Idiot seul face à la meute, bave, éructe, hurle, se débat et s’enfonce.
Haro sur l'imbécile. Au soir de l’estocade, on prendra la photo. Il y aura du sang, de la sueur et des larmes. Sûr, on emportera les deux oreilles, voire la queue, de ce démoniaque.
Hélas nos espoirs rédactionnels les plus fous, tombent à l’eau.
Les choses semblent à l’arrangement et la raison, l’emporterait bientôt sur la rumeur, l’envie, la jalousie, le besoin de paraître ou celui de devenir calife, à la place du calife.
Plusieurs causes à ce revirement :
Comme le maire arc-bouté sur ce qu'il pense être son devoir envers ses électeurs, ne démissionnait pas, les dissidents passés à l’opposition ont sans doute réalisé (après avoir refusé de voter le budget), que si le conseil municipal sautait, dissous par le préfet, aucun n’aurait la moindre de chance de figurer dans les équipes nouvelles en compétition, sauf à prendre le risque d’en créer une.
Celle menée par l’opposition ne voulant pas s’encombrer de faillis, et l’autre si elle repartait, laissant sur place ceux qui avaient quitté le navire, après avoir tenté un sabordage.
Deuxième cause, après une réunion de travail, l’affreux Porteneuve, a porté à l'ordre du jour une dé-fusion, c’est à dire la séparation des villages et un retour au status-quo d'avant décembre 2006 avec 5 entités distinctes, 53 conseillers municipaux, 5 maires. Ce point, le Conseil l’a voté par 18 voix sur 23. Reste à savoir la décision de l’État et les modalités, que le préfet ne manquera pas de leur faire connaître.
Pour Testu, le magazine qui décrypte l'info locale à la hache, l’histoire pourtant commençait bien. Mais je le disais en titre : les boiteux faut s’en méfier, chacun sait bien qu’ils sont méchants !
Jean-Paul Rommot