Pas de révolution d’octobre dans le Cantal ?
A une heure de
très grande écoute, sur une chaîne nationale, on a parlé du Cantal. Notre département s’en portera-t-il mieux pour autant ?
Les optimistes
espèrent que le couvercle soulevé fera réfléchir « La » profession.
Les pessimistes refusent de croire à une révolution :
elle pourrait leur faire perdre la grosse part du fromage qui les fait vivre depuis les années 70 du siècle dernier.
Dans « LA » profession,
piailleries pour rejeter d’un revers de manche les arguments présentés par « Envoyé spécial » du 12 octobre : c’est un truc de parigots qui ne comprennent rien au fromage. Chez nous, le roi
ce n’est pas le client, le roi c’est le petit club qui manœuvre depuis des décennies, des organismes de formation à la Chambre d’agriculture en passant par le CIF ou le syndicat dit majoritaire. Argument
imparable : « nous, on s’en sort, c’est bien la preuve qu’on est dans le vrai ».
Presse locale ?
La Montagne a fait comme si l’émission avait été annulée, pas un mot.
L’Union du Cantal dans sa
newsletter des 18 et 25 octobre a « oublié » d’en parler.
La Voix du Cantal a posé la très bonne question en 1ère page :
« AOP Cantal : quelle garantie d’authenticité ? ». Problème : pas de réponse en page 2. Mini historique du cahier des charges, avec trois déclarations de Michel Lacoste à propos
des évolutions possibles :
1er objectif, mieux expliquer ce qu’on vend (sans changer ce qu’on fabrique).
2ème objectif, ne pas trop bousculer les habitudes : « être plus strict sur les races de vaches, par exemple, reviendrait à nous planter un couteau dans le dos »
3ème objectif, accompagner le marché porteur de la production au lait cru. Démonstration en page 3, avec le témoignage d’un producteur fermier.
Là aussi, pas un mot qui permette de savoir si le lait AOPPP(1) est un produit authentique.
Comment peut-on, à la fois, dire que le lait cru va bien et ne pas dire
que le lait pasteurisé pour faire de l’AOP n’a pas de sens ?
Incapacité absolue à regarder la réalité en face. Aller raconter que
tous les laits de vaches sont identiques, c’est aussi crédible qu’affirmer : peu importe le raisin puisqu’en le pressant on fabrique du vin.
Montée
d’adrénaline. Pour avoir, aujourd’hui, la chance de pouvoir dire les choses et pour avoir accompagné la fabrication du fromage dans un buron au dessus de Pailherols plusieurs semaines dans mon enfance et mon adolescence,
fils de vacher, je ne pouvais pas ne rien écrire.
Comment dépasser l’intuition sans raconter trop de bêtises ?
Rapporter le vécu avec plusieurs producteurs locaux ? Aucun souci.
Internet ? Pistes proposées au célèbre moteur de recherche :
« phénomène de sécrétion du lait chez la vache » ; « influence de l’alimentation sur la qualité du lait de vache » ; « avantage et inconvénients
de la pasteurisation du lait de vache »… Pour assaisonner le tout, deux trois coups de fil bien placés, trituration lente dans les boyaux de la tête.
Sentiment
de honte, dimanche 22 octobre, suite à l’émission de France Inter « On va déguster », consacrée au Comté. Manifestement, pour fabriquer une AOP qui fonctionne, il suffit de ne pas faire ce qu’on
fait dans le Cantal et de prendre exemple sur le Comté. Ci-dessous, résultat du chantier.
Le lait pour les nuls.
Les vaches nourrissent leurs veaux, 300 jours par an en moyenne ; les deux autres mois, « taries »,
elles se concentrent sur la fin de la gestation du « bédélou » (2) à naitre, avant la mise bas. Ça, c’est la nature.
Les hommes
ont compris qu’ils pouvaient traire pour récupérer tout ou partie du lait. Toutes les vaches, ou presque, ont acquiescé sans bramer, les salers ont posé une condition : « je te donne mon lait si tu me laisses
mon veau pour qu’il en profite au moins un peu ». Ça, c’est l’élevage.
Production du lait.
Pour profiter du beurre et de l’argent du beurre, les hommes ont cherché, et cherchent encore, à optimiser le système. Les recherches scientifiques ont confirmé ce que beaucoup pressentaient :
la production de lait, c’est d’abord, une histoire d’hormones et d’activité des cellules dans le pis de la vache.
En cours de gestation, développement
de la glande mammaire, avec multiplication des cellules qui forment des alvéoles. Lors de la mise-bas, la progestérone placentaire s’éclipse et laisse la place à la prolactine : le circuit est en place, des réseaux
de capillaires sanguins l’alimentent en nutriments extraits du bol alimentaire ruminé des heures durant. Quand le veau tête, quand l’homme, ou la machine, presse, stimulation nerveuse, sécrétion d’ocytocine, contraction
des alvéoles, le lait s’écoule par des canaux lactifères.
Pas besoin d’être passé par Purpan (3) pour imaginer que les nutriments présents
dans le tourteau de soja ne sont pas les mêmes que ceux rencontrés dans l’herbe rase et les fleurs de nos montagnes. En multipliant les manipulations génétiques, hormonales et physico-chimiques, les hommes ont adapté
les races aux besoins du marché : insémination artificielle et groupage des chaleurs sont les deux signes extérieurs partout visibles dans nos pâturages et nos stabulations, usines à lait de cette course à la productivité.
Petits détails à partager.
Pour produire un litre de lait, une vache doit filtrer 300
litres de sang, histoire de capter les bons nutriments. Une Prim’Holstein de concours, à la conformation déjà peu gâtée par la nature, peut aller jusqu’à 50 à 60 litres de lait certains
jours, 15 000 à 18 000 litres de sang filtrés en 24 heures. Imaginez le boulot. Pas surprenant qu’elle ressemble plus à un porte pis squelettique (4), recouvert d’une toile noire et blanche, qu’à
une vache.
Pour ne rien perdre de la production laitière, les veaux sont retirés de leur mère dès la naissance, envoyés vers des élevages industriels
pour la production de viande sans avoir reçu le colostrum indispensable à leurs défenses immunitaires. Pas surprenant de les voir, ensuite, ingurgiter des doses d’antibiotiques pour compenser.
Dans ces deux cas d’une totale banalité, surprenant que l’on ne parle pas de maltraitance animale.
Effet papillon de la course à
la quantité.
Conséquence immédiate de la productivité maximum : si les vaches goinfrées aux aliments transformés dépassent
6, 7, 8, 9, 10, 11 ou 12 000 litres par an, plus on augmente la quantité, plus le lait perd ses qualités fromagères. Réalité aggravée par les acides acétique et butyrique développés dans l’ensilage
et, à un degré moindre, l’enrubannage (5). Les cellules de matière grasse sont en particulier fragilisées et risquent d’éclater sous l’effet du froid…
Conservation et collecte du lait.
En système traditionnel, le lait d’un troupeau est collecté dans des
gerles en bois. Il reste à bonne température jusqu’au buron ou à l’atelier pour être travaillé avant refroidissement.
En système
industriel, la préoccupation du producteur est de refroidir son lait le plus rapidement possible pour éviter tout problème de conservation en attendant le passage du laitier qui, le lendemain ou le surlendemain, mélangera
dans sa citerne la production de plusieurs exploitations.
Transformation du lait.
Là
aussi, deux façons de faire totalement opposées.
Lait cru fermier.
Matin et soir,
sitôt arrivé au buron ou dans l’atelier de la ferme, le lait encore chaud naturellement (32 à 34°), est emprésuré. Commence alors le caillage, 1ère étape de la fabrication du fromage.
Chauds et froids pour le lait pasteurisé industriel.
Extrait de la mamelle à 37/38°,
immédiatement stocké à 4° dans un tank, le lait à vocation AOPPP (1), est chauffé à plus de 72°, parfois jusqu’à 86°. Tout ce qui est thermosensible est détruit : adieux moisissures,
levures, microbes lactiques aérobies qui sont les seuls à donner naturellement le goût terroir à un fromage. Dans les cuves, tout est clean mais impossible de savoir si ce liquide blanc, essentiellement composé d’eau,
de matière grasse et de matière azotée, vient de Mandailles, de la banlieue de Barcelone, de Bretagne ou de Chine. Vive le terroir !
Pas de caricature
cependant ; l’industriel va tenter de se rattraper. Quand il se décide à fabriquer, il remonte le lait en température, autour de 30, 32°, et l’ensemence de savants mélanges de ferments et de levures pour fabriquer
une texture, un gout, une couleur, une croute.
En cas d’expérimentations ou d’erreurs de dosage, on peut se retrouver confronté à des « fromages »
verts, noirs, rouges… peu ragoutants pour un bon casse-croute entre amis.
En fait, dans les usines, l’automatisation des procédés évite
les surprises et débouche sur des produits réguliers… mais sans rapport authentique avec les terroirs et les saisons.
Du caillé au fromage.
A partir de cette phase, différence d’image spectaculaire, mais procédés très proches qui n’auront pas de grande influence sur le produit fini. Les industriels
se sont simplement appliqués à demander à leurs robots et automates de copier les gestes du fromager authentique. Si le fermier peut se faire peur avec des problèmes de température, de pressage ou de dosage, l’industriel
a l’esprit plus tranquille : tout est propre, aseptisé, minuté, dosé… Hélas pour lui, il y a bien longtemps qu’il a perdu la bataille du terroir en pasteurisant le lait frigorifié dans les tanks des
fermes réparties sur des territoires trop grands pour être ramassés dans des délais raisonnables !
Travaux pratiques à votre attention.
Parfaitement conscient que la lecture de ces lignes va déclencher sourires, contentements chez les amateurs de vrai cantal, sarcasmes, mépris ou pitié chez nombre de spécialistes
de la fabrication unique et pasteurisée, invitation à prendre du temps pour regarder la réalité en face en comparant le cahier des charges du Cantal et celui du Comté.
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Le sujet, avenir de l’élevage laitier cantalien, mérite bien un petit effort.
(1)Appellations d’Origine Protégée Par Pasteurisation.
(2)Petit « bédel »,
déclinaison locale et affective pour parler du petit veau.
(3)La grande école toulousaine qui fabrique les experts en agroalimentaire habités par la prétention
de tout savoir sur l’art et la manière de nourrir le monde…
(4)Les mauvaises langues les traitent de porte-manteaux.
(5)Technique d’emballage sous plastiques (noirs, blancs ou vert palichou) de balles d’herbe pas assez sèche pour faire du foin, pas assez verte pour parler d’ensilage.
Bernard Bonhoure
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